L’habitat réversible pourrait bien être la solution aux défis environnementaux et sociaux du XXIe siècle. Dans un contexte où les bâtiments traditionnels sont de plus en plus pointés du doigt pour leur impact écologique, l’habitat réversible offre une alternative durable. Ce concept, encore méconnu, permet de construire des habitats qui peuvent être démontés ou déplacés sans laisser de traces permanentes sur le sol. Mais comment ces habitats peuvent-ils répondre aux enjeux actuels et quels sont les obstacles à leur adoption ? Cet article explore ces questions et propose une charte pour faciliter leur intégration dans nos communes.
Le constat
Les impacts du bâtiment sont nombreux : sur le sol, la qualité de l’eau, les déchets, la biodiversité, les paysages, et l’environnement sonore. En termes d’empreinte carbone et de consommation énergétique, le secteur du bâtiment est aujourd’hui l’un des principaux émetteurs de gaz à effet de serre en France.
On peut catégoriser les émissions en trois types :
Les émissions directes, comme celles liées au chauffage au gaz ou au fioul.
Les émissions indirectes liées à la production d’énergie en amont, comme pour l’électricité.
Les émissions indirectes liées à l’industrie, nécessaires à la fabrication des matériaux et des équipements.
Pour le bâtiment, ces trois catégories représentent le tiers des émissions de gaz à effet de serre de la France. Le béton, à lui seul, est responsable d’un douzième des émissions mondiales de CO2, sans compter les problèmes liés à l’extraction du sable. Par exemple, une simple dalle de 30 cm de béton sur 50 m² représente 4,5 tonnes de CO2, soit l’équivalent de neuf trajets Paris-New York en avion.
La construction en béton est un non-sens écologique, surtout si l’on considère la production de déchets : les déchets du bâtiment représentent plus de 40 millions de tonnes par an en France, ce qui dépasse largement les déchets ménagers. Jusqu’à l’invention du béton et du ciment, nous construisions de manière à réutiliser les matériaux. Aujourd’hui, les déchets du bâtiment dépassent d’une fois et demie ceux des ménages.
L’artificialisation des sols représente 25 % de la surface agricole en France au cours des 50 dernières années. L’équivalent d’un département moyen français est bétonné tous les six ans, principalement à cause de l’habitat. L’imperméabilisation des sols aggrave les effets des inondations et des sécheresses, de plus en plus fréquentes.
Pour tendre vers l’objectif de neutralité carbone et préserver la biodiversité, il est nécessaire de réduire la production de matériaux et de diminuer les surfaces nouvellement construites. Nos communes regorgent de maisons anciennes vides qui se dégradent. Il est urgent d’aider à leur rénovation.
Le patrimoine rural est vaste : des bâtiments d’anciennes exploitations tombent en ruine car les règlements urbains, dans les zones classées agricoles, empêchent la construction de nouveaux bâtiments si les habitants ne sont pas exploitants. De plus en plus de projets pourraient prendre place dans ces lieux abandonnés, offrant une façon de réutiliser les bâtisses en milieu rural et d’exploiter avec respect les terres attenantes. Ces lieux peuvent accueillir et servir de transition pour l’habitat, mais aussi pour les activités liées à l’agriculture (pédagogie, échange de savoirs, possibilité d’expérimenter, habitats alternatifs).
Il est également crucial de réduire la teneur en carbone des matériaux utilisés et de limiter l’usage du béton au strict nécessaire, car il est extrêmement émetteur. Interdire la construction de maisons en parpaing, froides en hiver et chaudes en été, est une mesure nécessaire.
Dans le cadre de l’objectif national d’absence de toute artificialisation nette des sols en 2050, il est urgent de repenser nos modes de vie occidentaux, outrageusement dépensiers de ressources naturelles de notre planète. Il est essentiel d’apprendre à vivre de façon respectueuse envers les autres espèces vivantes et de favoriser les habitats réversibles, autonomes et économes
Qu’est-ce que l’habitat réversible ?
On qualifie de "réversible" tout habitat qui peut être facilement démonté ou déplacé, c’est-à-dire qui ne laisse pas d’empreinte irréversible sur le sol. Le terrain n’étant pas définitivement artificialisé, il peut facilement retrouver son état initial.
Cette notion d’habitat réversible n’est pas une terminologie juridique. Dans la loi, on parle dans certains cas d’"habitats légers de loisirs" ou de "résidences démontables constituant des habitats permanents". Cependant, la notion d’habitat réversible est souvent utilisée dans les dialogues entre les collectivités et les habitants de ces habitats, car elle est plus juste et adaptée pour décrire des habitats qui ne sont pas tous nécessairement légers ou démontables.
De plus, l’habitat léger souffre parfois d’un imaginaire connoté, pouvant être perçu comme fragile ou précaire, ce qui n’est absolument pas le cas des constructions actuelles, qui se révèlent durables et peuvent parfaitement répondre à un mode de vie simple.
Le concept d’habitat réversible renvoie à l’idée de prédation minimale. Les différents types d’habitats réversibles sont :
Les habitats mobiles, comme les roulottes et les tiny-houses.
Les habitats transportables, qui se différencient des habitats mobiles car ils n’ont pas eux-mêmes la capacité de se mouvoir, comme les mobile-homes ou les conteneurs aménagés.
Les habitats démontables, comme les yourtes ou certaines constructions en ossature bois.
Les habitats biodégradables, qui peuvent se composter, comme les terre-paille et les kerterres.
Ces habitats ne connaissent pas de limite de taille, mais ils sont souvent d’une surface petite ou moyenne. À l’inverse de la dynamique observée jusqu’à présent : les ménages, qui sont de plus en plus petits, ont tendance à se loger dans des habitats toujours plus grands. Les habitats légers répondent à plusieurs aspirations, portées par de plus en plus de gens : accessibles aux modestes, sobres, écologiques, solidaires, et associés à des espaces de vie partagés, comme une buanderie, une chambre d’amis, une salle de jeu, une bibliothèque, un atelier, etc.
Pourquoi l’habitat réversible est-il une réponse pertinente aux enjeux climatiques ?
Des sols vivants
Grâce aux fondations sur dalle bois, les sols ne sont pas imperméabilisés. L’eau peut s’infiltrer, la vie des sols est préservée et le terrain peut revenir à son état initial en cas de départ des habitants et de leur habitat, d’où la notion d’"habitats réversibles".
La gestion des déchets
En utilisant des matériaux biosourcés, biodégradables ou issus du réemploi, sur des surfaces plus modestes (en rationalisant les espaces), ils permettent une importante réduction des déchets. Nous devons réapprendre à construire en visant le "zéro déchet", comme cela a été le cas avant l’ère industrielle : avec des matériaux biodégradables ou réemployables à la fin de leur cycle de vie. Il existe de nombreuses techniques nouvelles aujourd’hui qui ont été éprouvées au cours des dernières décennies.
Zéro empreinte carbone
Il est aujourd’hui possible d’atteindre le zéro carbone dans la construction neuve, et relativement simple de diviser par dix l’empreinte carbone d’une maison neuve en parpaing, grâce aux matériaux biosourcés comme le bois, aux matériaux recyclés et aux low tech.
Cela suppose de se passer du béton, d’apprendre à construire en ossature bois, et de penser à d’autres systèmes de fondations : pieux vissés, pneus, plots, pilotis ou pierre sèche, remorque, etc.
Cette manière d’habiter, répondant aux enjeux écologiques, existe déjà avec des modes de vie durables et solidaires pour des territoires plus vivants : l’habitat participatif, créateur de lien social ; l’habitat réversible, sobre et durable, évolutif et intégré. Beaucoup y aspirent, de plus en plus, mais peu y accèdent.
Les limites du cadre actuel
Depuis 2014, la loi ALUR a donné un cadre légal à l’habitat réversible, qualifié de "résidence démontable constituant l’habitat permanent de leurs utilisateurs", en permettant son installation sur des terrains constructibles ou dans des STECAL, dérogations au principe de non-constructibilité en zone naturelle ou agricole, qui peuvent être créés dans les plans locaux d’urbanisme (PLU ou PLUi) avec l’accord de la commune.
Mais pourquoi ne le fait-on pas déjà ?
Manque d’information et préjugés
Beaucoup n’ont pas conscience des problèmes écologiques liés à la construction en béton ou ignorent la possibilité de vivre dans des habitats réversibles sans posséder la terre et de manière sécurisée dans le temps.
D’autres ont des préjugés sur ce type d’habitat : il serait mal isolé, moins confortable ou moins durable, ou encore pourrait s’envoler.
Méconnaissance des élus et administrations
La loi ALUR de 2014 est peu connue des élus, et les administrations manquent parfois de connaissances techniques, de précédents et de retours d’expérience, et a été très peu appliquée.
De plus, certains élus associent habitat léger et précarité et ont peur de voir arriver des marginaux dans leur commune.
Manque d’outils pour les porteurs de projets
Celles et ceux qui font le choix de l’habitat réversible sont souvent désemparés face aux démarches à réaliser pour s’installer légalement et face à la difficulté de trouver une commune accueillante et un terrain où s’installer.
Proposition de charte
Pour offrir un cadre répondant à un mode de construction non polluant, non invasif, respectueux de l’environnement, et pour que puisse exister ce droit d’expérimentation de modes de vie engagés vers une "sobriété heureuse", nous proposons une charte qui pourrait œuvrer à établir une relation contractuelle entre la commune et ses futurs habitants de ces habitats.
À l’attention de tous les élus français souhaitant encadrer sur leur commune l’installation de personnes choisissant un mode de vie destiné à répondre efficacement aux enjeux économiques, environnementaux et sociétaux de notre époque.
En préambule, les cosignataires de cette charte s’engagent à respecter les principes suivants :
Prendre soin de la Terre et la respecter (incluant sa faune et sa flore).
Prendre soin des humains, quel que soit leur genre.
Créer de l’abondance et veiller à redistribuer les surplus.
Propositions de points pour la charte de l’habitat réversible :
Réversibilité de l’habitat (pas d’emprise au sol)
Toute installation, à durée définie ou indéfinie, doit garder sans dérogation possible un caractère réversible pour toutes ses constructions. Son démontage ne doit pas entraîner de gravats ni de déchets.
Autonomie totale vis-à-vis des réseaux d’eau et d’électricité
L’installation de ces habitats doit se faire dans l’indépendance des réseaux électriques et des réseaux d’eau dans le but de ne pas engendrer de surcoût pour la commune. Si des connexions aux réseaux existent déjà, cette indépendance n’est pas obligatoire.
Ne pas dénaturer le paysage
L’habitat devra s’intégrer dans les écosystèmes en utilisant des matériaux naturels, locaux si disponibles. Les espaces en zones naturelles ou agricoles ne peuvent être mis "sous cloches" par des clôtures qui empêchent le passage d’animaux sauvages.
Toilettes sèches
L’utilisation d’un système autonome de toilettes sèches utilisant le compostage des matières organiques humaines, puis sa réintroduction progressive dans l’environnement une fois sa transformation en compost riche et à maturité (deux ans après la dernière charge), est une obligation majeure de ce mode d’habitat (baisse d’un tiers de la consommation d’eau potable).
Usage de produits d’entretien naturels et biodégradables
Il est formellement interdit d’utiliser des produits ménagers autres que labellisés biologiques et/ou des produits naturels de base (vinaigre, bicarbonate de soude, etc.) afin d’éviter les effluents domestiques polluants.
Assainissement
Pour maintenir cette démarche d’aggradation des lieux et, dans le pire des cas, d’impact neutre sur notre environnement, une connaissance rigoureuse de l’usage des produits ménagers utilisés sera indispensable. L’utilisation d’un système de pédo-épuration ou bien de phytoépuration sera dépendante de l’activité et des eaux grises produites par les habitants. Des analyses pourront être menées pour contrôler l’équilibre et la vie des sols.
Interdiction d’imperméabiliser les sols
Pour que l’eau puisse s’infiltrer, il est formellement interdit d’imperméabiliser les sols par la mise en place de constructions quelconques, en bitume, en asphalte ou autres matières imperméables et/ou polluantes. Cela aiderait à résoudre la récurrente problématique d’inondations et de perte de fertilité des sols.
Interdiction de construire en parpaing ou de couler du béton.
Assurance
À défaut d’assurance, affirmer sa responsabilité juridique personnelle à la commune en cas d’accident.
Limiter la densité de population
Un foyer par demi-hectare dans les espaces classés Naturel ou Agricole. La nécessité de donner la possibilité administrative aux personnes de pouvoir retourner vivre à la campagne, à l’inverse de ce qu’ont connu nos aînés, est en accord avec les besoins criants de réduction de nos impacts carbone et de relocalisation de notre économie, entre autres choses. Pour ceci, le principe est de répartir notre implantation comme l’était la population française d’avant-guerre.
Présenter le projet d’installation en amont à la commune
Le respect de cette charte morale pourra entraîner une autorisation des autorités compétentes préalable au lancement de l’installation des futurs habitants de la commune. Un dialogue autour du projet sera nécessaire afin de vérifier leur respect et leur engagement mutuels.
Domiciliation
Pouvoir disposer d’une adresse postale sur le lieu où est installé l’habitat léger.
Mise à disposition des équipements publics
Salles des fêtes, jardins partagés, crèches, médiathèques, etc.
Conclusion
Cette proposition induit une implication sur la manière de s’installer sur un territoire, une façon de penser son impact sur son lieu de vie, en termes d’aggradation de l’environnement. Tous ces concepts sont désormais indispensables à l’étude des cas d’installation.
L’habitat de demain doit être pensé pour faire sa part afin de répondre à ces problématiques. De nombreuses jeunes générations sont intéressées par des modes de vie alternatifs à la norme et font face à de nombreuses difficultés administratives, juridiques, etc. Alors que nos territoires ruraux perdent parfois de leur population, nous pourrions envisager que nos communes considèrent davantage les demandes des nouvelles générations qui ont envie de vivre plus en harmonie avec la nature. Ces projets ne peuvent que dynamiser nos territoires, alors pourquoi ne pas se montrer accueillant ?